jeudi 8 mai 2014

Seven

Cela fait maintenant 7 jours que tu es sortie de ma vie. 7 jours, soit 168 heures. Pourtant, j'ai l'impression que c'était hier. Notre première rencontre, il y a plus de 20 ans, à l'abri des regards. Mes lèvres sur toi, maladroites d'abord, puis de plus en plus assurée au fil des moments passés ensemble. Mes mains tremblantes quand j'avais peur de ne pas te voir, de ne pas t'avoir.

Puis, nos sorties ensemble, au grand jour. Notre coming-out, une façon de m'affirmer et de défendre qui j'étais. Et toujours, toi, à mes côtés, pour me rassurer par ton odeur, m'éclairer par ta présence, m'aider à vaincre ma solitude. Toi, toujours présente, dans les bons comme dans les mauvais moments... Est-ce parce qu'il y a eu de plus en plus de mauvais moments que j'ai eu de plus en plus besoin de toi? Toujours est-il que, quelle que soit l'heure, quel que soit l'endroit, je pouvais toujours compter sur toi pour m'accompagner, me donner une contenance qui me manquait bien souvent...

Une fois, par le passé, j'ai essayé de te quitter. Déjà...  J'avais choisi une vie rangée, et tu n'allais pas avec cette vie-là: les enfants, la Vie "normale", la société, autant d'univers d'où tu étais rejetée et qui ne me laissaient pas d'autres choix que d'envisager mon existence sans toi. Et j'ai tenu. 3 ans. Et puis, finalement, les enfants, la Vie "normale", la société, ont cessé d'avoir pour moi une connotation idéalisée et je t'ai retrouvée. Tu étais là. Tu m'avais attendue. Tu n'as fait aucune remarque: tu es revenue dans ma vie, tu as embrasé mes lèvres, comme par le passé.

Malgré tout, malgré ton absence de reproches, malgré ta fidélité à toute épreuve, malgré le fait que tu n'aies jamais rien attendu de moi en retour, je me suis toujours sentie otage de toi, de ton odeur, de ta lumière. Je peux bien te l'avouer, maintenant: tu m'excitais. Je m'en rends d'autant plus compte que, depuis que tu es partie, j'ai le sentiment d'une immense fatigue. Immense, mais mienne. Donc réelle. Alors que toi, tu m'empêchais de ressentir mes limites, tout en me limitant insidieusement sur tant d'autres plans: ma santé, mes sorties, mes dépenses... Car oui, tu m'as coûté cher. De plus en plus cher.

Avec les années, tu m'as finalement fait payer le prix fort de mes infidélités: à chaque fois, te reconquérir était plus impliquant, plus dangereux pour moi, pour mes proches. A la place du week-end que j'aurais pu passer à découvrir une ville, à faire de nouvelles rencontres, tu engloutissais mon budget sans avoir, au final, rien apporté de neuf avec toi. A part, peut-être, une haine grandissante à ton égard...

Et puis voilà: il y a une semaine, je t'ai laissée tomber. Sans te prévenir, histoire de ne pas te laisser la possibilité de me faire changer d'avais. Toi qui me tenais pour acquise à jamais, te voilà maintenant quittée à nouveau. Oh, je te croise: dans la main d'un autre ou d'une autre, dans un bar, rarement, dans la rue, souvent, mais je te regarde avec compassion, voire avec pitié. Non, tu ne m'excites plus, ni ton odeur, ni ta lumière. Je t'ai remplacée par une autre, une qui fait plus de bruit, tout autant de fumée, mais sans feu. Une qui ne veut pas ma mort. Une qui change de parfum selon mon humeur. Une qui me permettra de voir grandir ma descendance.

Ma chère clope, ainsi s'achève ma missive: je te laisse avec tes images de dents gangrénées, de foetus trop petits et tes milliers de trachéotomie sur la conscience. Quant à moi, je vais enfiler mes godasses de running, reprendre mon souffle et tenter de récupérer les années que tu étais prête à m'épargner. Ce n'est pas tant vieillir qui m'intéresse, que m'assurer que tu resteras à distance de mes enfants. Et ça, crois-moi, ça maintient...