Ainsi
pourrait commencer mon voyage en terres chaux-de-fonnières : il était une
fois… Car arriver à la Chaux-de-Fonds, c’est comme participer à l’émission
« Retour en terre inconnue », un voyage dans le temps, mais aussi la
découverte de gens pas comme les autres, les derniers irréductibles, peut-être…
Tout cela a
commencé par une mystérieuse missive, envoyée depuis un célèbre réseau
social : quelqu’un me proposait de me rendre à la Chaux-de-Fonds le temps
d’un week-end et de témoigner à mon retour, sur mon blog, de mon
« aventure ». Après quelques vérifications pour m’assurer qu’il ne
s’agissait pas d’un canular, nous avons pris contact et élaboré les étapes du
périple. J’arrête tout de suite les malpensants : totale liberté de ton et
de contenu m’était donnée, nulle rémunération à la clé, si ce n’est le plaisir
de découvrir la ville, quelques bonnes adresses, et une nuit dans un hôtel au
nom déjà intriguant : Les Endroits. Une expérience qui ne se refuse pas...
Ainsi,
chargée de mon stylo, de mon bloc de feuille (mais oui, vous savez, ce truc qui
ne réagit pas quand on passe l’index dessus !) et de mon impartialité, je
me rendai donc sur place, non sans avoir la sensation, en chemin, d’être une
sorte de Colomb 2.0 partant à la conquête d’espaces vierges à raconter… Pour plus d’immersion, à peine arrivée
et chaleureusement reçue par le personnel de ce qui allait être mon point de
chute pendant 48 heures, je décidai d’abandonner là mon destrier urbain à
quatre roues pour explorer les transports urbains locaux. Histoire de faire
d’emblée connaissance avec la ville, j’étais reçue à l’Espace de l’Urbanisme
Horloger pour y visionner un film d’introduction à l’Histoire de ma désormais
terre d’adoption. Très vite, je compris que la Chaux-de-Fonds avait décidé de
me sortir le grand jeu, et, très vite aussi, que j’avais décidé de me laisser
séduire… Ainsi, il fût fait.
Je pourrais
vous parler des merveilles architecturales de la ville, à commencer par son
système en damier si particulier ; vous expliquer qu’elle a été conçue autour
de la valorisation de sa première
richesse: une luminosité particulière, cinglante, qui traverse les fenêtres
pour mieux éclairer les plus petites pièces d’horlogerie; vous dire que si les
habitations, elles, ont la particularité d’être séparées par de larges routes,
c’était originellement afin d’assurer un dénneigement rapide, et permettre
ainsi aux artisans horlogers d’aller chercher et amener leurs pièces sans délai.
Une ville réfléchie, une ville intelligente, une ville au mécanisme aussi
précis que ses célèbres garde-temps.
Je pourrais
vous conter l’histoire d’une population issue de la paysannerie qui occupait
ses hivers en réparant des montres en tous genres, et qui a développé un
savoir-faire en transformant les contraintes de son environnement en avantages
uniques ; des gens simples qui gardaient le bétail à la belle saison et le
Temps le froid venu; vous raconter que cette même population s’est soulevée en
1848 contre une monarchie, et que là-bas, on est engagé par vocation, pas par
défi, un esprit encore palpable; que si les nantis y côtoiaient sans heurts
toutes les couches sociales, cela provient de la prise de conscience de la complémentarité
entre ceux qui possédaient le savoir-faire et ceux qui oeuvraient pour le faire
savoir. Des gens droits, des gens inventifs, des gens à la complexité aussi
surprenante que les garde-temps qu’ils créent.
Je pourrais
évoquer Le Corbusier et ses œuvres qui ornent les flancs de la ville ou le
Cinéma Scala; cet « enfant » de la région reconnu à travers le monde
mais qui n’a jamais été chez lui « chez lui » ; vous raconter
comment son Mentor, L’Eplattenier, a conçu un Art Nouveau propre à la
région ; que s’il l’a baptisé le style « Sapin» s’est parce
qu’inspiré par le décor de sa ville nichée au milieu des forêts, il était amoureux
de ce paysage ; qu’il a élevé à la gloire de son art un Crématorium
splendide, sublimant la mort elle-même à renfort de poésie et de majestuosité ;
vous dire l’inscription qui surplombe le visiteur lorsqu’il fait le tour de la
bâtisse et qui résonne comme un appel aux vivants ; je pourrais vous
parler des couloirs cachés derrière les lourdes portes de bois des maisons,
teintés de faux marbre et décorés de vues de toute la Suisse, vestiges d’une
époque où l’on voyageait à travers des tableaux plutôt que des photos. Des
Artistes exilés, des Artistes chéris, des Artistes, tout simplement.
Je pourrais
aussi vous emmener voir le Carillon, objet fantasque, quasi burlesque, tout en
couleurs et en sons, qui donnent l’heure à une ville entièrement dédiée au
temps, mais sur laquelle le temps semble n’avoir aucune emprise ; vous
pourriez vous asseoir sur les marches qui le bordent et vous interroger un
instant sur le cerveau humain, capable d’accoucher de choses aussi insolitement
utiles ; vous iriez visiter le Musée Internationale de l’Horlogerie pour
mieux comprendre comment la rigueur et la créativité ont donné naissance à de
véritables chefs-d’œuvre de précision et d’imagination et réaliser que du
haut des aiguilles du temps, des siècles de recherches nous contemplent; vous pourriez
aller découvrir la Grande Fontaine et ses 12 tortues dont la raison d’être vous
sera transmise par ceux qui connaissent son secret et vous le confieront peut-être,
si vous savez les faire parler; vous faire peur dans une Maison Fantôme aux
milliers de figurines perturbées et perturbantes, tenue par un personnage aussi
étrange que chaleureux, fan de série Z, de belles femmes et de discussions
enthousiastes…
Je pourrais
vous entraîner au Festival de la Plage des Six Pompes, flâner au milieu des
artistes évoluant entre humour et magie ; vous pourriez y découvrir que même
ce Festival a vu le jour sous le signe de l’Horlogerie, dédié qu’il était à
offrir - aux habitants de la ville qui n’avaient pas les moyens de se rendre à
l’étranger – un voyage insolite aux chaux-de-fonniers pendant les vacances
horlogères ; en passant, nous pourrions aller dans la Cave à Jazz du Café
de Paris, un restaurant aux couleurs du passé mais à la musique intérieure
contemporaine, juste pour en apprécier les vieilles pierres en même temps que
l’acoustique exceptionnelle ; nous irions siroter un verre, sur une
terrasse, quelque part entre deux rues au nom exotique, rappel d’une pièce
d’horlogerie, de rêves d’avenir ou des héros du passé ; nous
entraperçevrions peut-être dans un atelier laissé à l’abandon les fantômes des
ouvriers d’autrefois, affairés à leur établi désormais disparu, mais dont le
vent emporte le cliquetis des outils jusqu’aux oreilles attentives...
Avec tout
ça, je pourrais déjà vous inciter à venir y passer quelques jours, à l’occasion
de la célébration du 125ème anniversaire de la naissance du
Corbusier, d’un week-end en amoureux, d’un moment loin de l’agitation de la
ville, mais avec tout de la ville à disposition. Vous ne seriez assurément pas
déçu de votre escapade, rien qu’avec tout ce que la Chaux-de-Fonds vous
donnerait d’elle sans que vous n’ayez à le demander.
Et
pourtant… il y a des choses qui ne se racontent pas : l’atmosphère des
bâtiments qui, si vous y regardez bien, vous permettent encore de voir les
ouvriers d’autrefois à l’ouvrage ; les chevaux du siècle dernier, équipés
de triangles et longeant les rues afin d’enlever le surplus de neige ; les
enfants jouant dans les rues pour profiter de l’or blanc ; les horlogers
s’activant avec leur valise à la main, traversant le pays, les continents, afin
de faire la promotion de leurs plus belles pièces et assurer la réputation des
grands noms chaux-de-fonniers ; les odeurs presque palpables de l’Ancien
Manège surplombant la ville, abritant les fantômes des cavaliers émérites ou
amateurs ; la vue majestueuse embrassant la mécanique urbaine depuis la
tour sise à l’Espacité ; le sentiment de plénitude devant la fresque en
mosaïque de l’Eplattenier consacrée au Triompe de la Vie sur la Mort au
Crématorium; la chaleur du sourire des chaux-de-fonniers, le soleil de leur
générosité ; les attentions d’un guide pas comme les autres, la passion
d’un restaurateur de montres tourné vers l’avenir, la gentillesse d’une
serveuse dans un hôtel bucolique …
J’aurais pu
essayer de mettre des mots sur chaque émotion ressentie pendant mon périple de
24 heures qui s’est achevé par un arrêt à la Vue-des-Alpes, mais ça n’aurait
pas été à la mesure de ce que la Ville m’a offert… Parce que, la
Chaux-de-Fonds, c’est avant tout un état d’esprit.
Et qu’un
état d’esprit, ça ne se raconte pas : ça se vit.